Nous continuons l'entretien avec Michel de Nuridsany
ILC : Justement, on a beaucoup accusé le marché de l’art contemporain chinois d’être avant tout spéculatif. Qu’en pensez-vous ?
MN : Bien sûr. Ce qui a fait que l’art s’est développé à Pékin plutôt qu’à Shanghai est qu’il y a eu les ventes aux enchères, et le gouvernement chinois s’est aperçu que l’art contemporain valait quelque chose. Mais il y a toujours de la censure, surtout sur la politique et la sexualité.
J’ai pris conscience d’un fait il y a deux ans : jusqu’à présent, c’était la vidéo qui était intéressante en Chine, tout simplement parce qu’ils l’ont découverte presque en même temps que nous. On a vraiment commencé en 90 et eux en 2000, ils n’avaient pas plusieurs siècles de « retard » comme pour la peinture à l’huile. Il y a une dizaine d’artistes de niveau vraiment international.
Récemment, je me suis rendu compte que c’était dans la photographie que des choses nouvelles arrivaient. J’ai découvert un très jeune artiste - dans une exposition par ailleurs extrêment mauvaise -, Dong Yonglong. Il est encore élève à l’Ecole des Beaux-arts de Pékin. Et en allant dans cette école, j’ai vu un réel changement.
Il y a dix ans, l’enseignement, et les élèves, étaient très académiques. Il y en avait seulement un qui sortait du lot. Aujourd’hui, tous les élèves sont bons, travaillent ensemble et créent des réseaux au lieu de se concurrencer. Ce jeune artiste m’en a fait rencontrer une autre...
Là encore, il y a confirmation des filles. En Corée, il y a eu en 94-95 une exposition féminine, qui a donné quelque chose de très très fort parce que les filles ont fait sauter le couvercle en Corée. En Chine, le changement se fait peu à peu. Je ne suis même pas sûr que les Chinois s’en aperçoivent.
ILC : Cette exposition sur la jeune scène chinoise s’est faite comme ça, par réseau, ou aviez-vous déjà des noms en tête ?
MN : Lors de mon dernier voyage, en octobre, j’ai trouvé un photographe et une vidéaste, Ye Funa, en qui j’ai beaucoup d’espoir. Il y a aussi Yang Yumin, dont j’avais vu le travail il y a un an et que j’avais montrée au Passage de Retz en 2008. Elle a fait un travail formidable sur les fous : la vidéo d’un garçon et d’une fille malades mentaux, qui expliquent avec de grands sourires à quel point ils sont heureux.
Ce sont les plus jeunes. Il y a aussi deux artistes connus, mais pas en France : Feng Mengbo et Zhen Guogu. Ke Yin habite un peu partout, à Philadelphie, Paris et Pékin. Ses dessins sont bourrés de figures qu’il faut repérer. La sculpture de Sun Xue est elle aussi très intéressante. Il y a aussi la présence de la peinture avec Yan Li, qui fait une peinture photographique avec des empâtements...
ILC : Vous avez voulu que tous les médiums soient présents ?
MN : Je pensais au départ à la présence de la photo. D’autre part, je suis la vidéo, mais elle ne se renouvelle pas vraiment. Je présente aussi une oeuvre de Zhou Yongyang et Mian en néon. Je me suis presque excusé car beaucoup d’artistes en Chine jouent sur ce genre de critique tellement soft du communisme... Mais celle-ci est réussie. Mon propos est de montrer des artistes qui sont des artistes avant d’être chinois. Et non pas Chinois puis artistes.
ILC : Le fait que ces artistes vivent ou non en Chine a-t-il une importance pour vous ?
MN : La Chine est un pays immense, qui subit des transformations incroyables. Quand j’ai écrit mon livre sur l’art contemporain chinois, la critique américaine m’a reproché de ne pas montrer la diaspora. C’est un point de vue politique, selon lequel les artistes restés en Chine seraient proches du gouvernement, et ceux qui sont partis seraient les opposants. Je trouve ça ridicule. L’intéressant est le point de vue artistique, de savoir s’ils sont bons ou non.
ILC : Quand vous proposez de montrer une autre Chine, est-ce contre cette idée et le mouvement spéculatif dont vous parliez tout à l’heure ?
MN : C’est pas contre, mais pour redresser la barre disons. Je trouve qu’on a montré d’abord la Chine avant de montrer les artistes. C’est plutôt contre ça que je me bats.
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